Aujourd’hui c’est le jour du loyer, repoussé d’une semaine pour cause de fêtes. Comme l’agence se trouve à Mermoz, je profite de l’aller avec Céline qui va au lycée. Je dépose en moins de 40 secondes la somme dû, récupère aussi promptement le reçu, et repars presque aussi vite que je suis venu. Comme nous l’avions déjà expérimenté à cette heure là l’avenue de l’alternance est complètement bouchée. Heureusement que je vais dans l’autre sens. Mais il y a peu de taxis, je décide donc de faire un bout à pied. J’attraperais peut être un taxi une fois arrivé au croisement. Il y a un peu de vent et je décide de continuer de marcher même arrivé sur la route de Ouakam.
Comme j’avance d’un pas quelconque, un autre piéton se retrouve à une vitesse similaire et me dit bonjour. « ça va bien ? oui ça va bien et toi ? ça va oui, bien … » (note pour plus tard faire un article sur les salutations à la sénégalaise) il continue sur un « je me permet par ce que on est voisin » … « oui oui on habite pas loin, c’est moi qui tiens la boutique en bas là.. tu vois bien. » je fais mine de rien et, il m’extrait les noms de Pape et de Amadou le gardien à grand coup de cold reading…
*** à ce moment de l’histoire je pense qu’il est important de faire un petit flash back qui vous aidera à mieux comprendre ma réaction***
Il y a quelques quelques semaines, lorsque nous rentrions de l’institut français nous -ou plutôt je- avons été accostés par un homme qui prétendait me connaitre. « ha mais c’est toi ! … » j’oriente l’homme sur la fausse ressemblance mais il est sur de lui et est persuadé de me connaitre, et même de connaitre une partie de mon histoire en Suisse chez swissquote. Si je n’étais pas sur mes gardes, que je ne m’étais pas déja enfilé 600 heures de Derren Brown sur youtube et que Céline était pas avec moi j’aurais été une cible facile. Il commence des phrases en me laissant compléter, ne fournit aucun nom, mais les reprend très vite avec un « voila oui! et tu te souviens de … comment il s’appelait .. le grand là » Et honnêtement y’a un moment vu que j’ai une mémoire très nulle j’ai vraiment cru que c’était quelqu’un dont je ne me souvenais pas. Mais chaque fois que je lui tendais une perche pour qu’il me confirme qu’il connaissait quelque chose de précis il ne la prenait pas. u bout de dix bonnes minutes, comme c’était le soir et que Céline était là nous n’avons pas eut de mal à prendre la tangente (oui Céline étant prof de math ça simplifie … pour prendre la tangente … rire… maintenant …). Du reste il était très courtois et à même redit plusieurs fois que si on devait y aller il n’y avait pas de problème.
Cet épisode nous a bien entendu fait réfléchir. Et nous nous sommes plusieurs fois posés la question mais qu’est-ce qu’il voulait exactement ? quel était le but de cette lecture à froid, certes bien exécutée, mais sans but visible au final. Et nous n’avions pas la réponse ce que je trouve un peu frustrant.
*** retour aujourd’hui dans cette rue en plein cagnard mais avec un vent léger qui rend la marche pas si désagréable ***
… »je tiens le commerce en bas là, et je reviens de chez un fournisseur » … aaaah voila le lien lucratif, il est ténu, et dilué dans d’autres conversations plus mondaines. J’en profite pour lui demander d’où il vient – de Guinée. Ce qu’il pense de l’état de salubrité des rues. Il me fait la même réponse que Abdul le véritable tenant du commerce le plus proche de chez nous « ha ben c’est les africains ils sont comme ça » … vous parlez de racisme.
Nous continuons durant un bon moment et Sila, c’est son nom, essaye de jauger le contenu de mon portefeuille assez subtilement avec des questions visant à déterminer si j’ai des grosses coupures. Soulevant le problème de monnaie qui est effectivement récurant ici. Il me demande aussi les plats que j’ai déjà mangés ici, me dit que son préféré c’est le mafé. J’essaye aussi de profiter de ses connaissances sur l’attiéké afin d’en déterminer le mode de cuisson, mais je pense que google sera plus efficace que « oui oui c’est comme la semoule ». Au bout d’un bon kilomètre j’essaye de lui fausser chemin lorsque je vois qu’il tend à continuer tout droit et que je peux prendre à droite. Mais la manœuvre est malhabile. J’aurais du attendre qu’il me dise exactement qu’il continue tout droit et j’aurais pu ainsi forcer le fait que je vais à droite ou l’inverse. A ce moment je pense qu’il pensait qu’il m’avait bien ferré. Il continue en me disant que comme il est grossiste, il peut m’avoir de la petite monnaie facilement.
A ce moment je me dis qu’il faut que je prévois une vraie porte de sortie. Je programme donc la minuterie de mon téléphone sur 6 minutes. Tant il est facile de nos jours de triturer son téléphone sans que cela soit suspicieux. Ainsi lorsque l’on arrive à une boutique sur la rue très passante et qu’il me dit de m’assoir je peux m’assoir tranquillement. Il me dit évidement de lui donner les grosses coupures qu’il donnera ensuite au commerçant qui lui aura la monnaie. -Ceux qui ne s’attendaient pas à ça sont priés de venir accompagnés et de tenir la main de leur tuteur durant tout leur séjour ici-. Sans vrai surprise, lorsque je me lève pour voir, il s’empresse de me dire « non non faut pas qu’il te voit il faut que tu me donnes l’argent sinon il va croire que c’est pour toi et il fera pas le prix de grossiste ». « ha ben oui c’est sur… suis-je bête » pense-je.
Bip bip fait le téléphone. Je réponds et utilise mes années d’expérience en jeu de rôle pour faire une véritable discussion catastrophe « oui allo… oui .. quoi ? … ça va ? …. non ? …. t’as mal ? …. Guillaume il est là ?…hm hmm … et mais… .. non attend.. attend quoi ? … ça va pas … non mais ok … j’arrive, j’arrive » En poussant au maximum la voix vers Sila pour qu’il comprenne bien les mots clefs « t’as mal » « ça va pas ». Je mets mon plus beau masque de mec paniqué, lui dit que je suis désolé mais ma femme est tombée et je dois partir, je lui sers la main rapidement lui dit encore désolé et me retourne en quête d’un taxi. Je fais mine de ne pas entendre que « c’est pas bien ce que tu fais, le prix d’un taxi c’est rien » et « mais tu rates une …. « . Et marche d’un pas pressé bien justifié par la panique jouée au préalable. Je ne sais pas si il a gobé mon histoire mais que ce soit le cas où pas ne change rien. Si il ne m’a pas cru il aura compris que je n’étais pas dupe. Si il m’a cru c’est qu’il est encore moins malin qu’il ne le pense (et que mon jeu d’acteur est meilleur que je ne pense). Et si il doute c’est bien fait pour lui.
Encore une fois je suis malchanceux aux taxis, et pour éviter de recroiser Sila je remonte encore toute la rue, fait un détour et me retrouve à finir l’avenue Cheik Anta Diop rajoutant 2 kilomètres supplémentaires pour arriver à la maison. Finalement oui, il m’aura bien fait marcher.